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M. Théodore ROUSSEAU. Un romantique endurci. Il a été refusé pendant dix ans, il rend dureté pour dureté. On me l'a représenté comme un des plus acharnés contre les réalistes, dont il est pourtant le petit cousin.
[...]
[...] Je sais bien que je ne puis faire au jury un crime de notre pauvreté artistique. Mais je puis lui demander compte de tous les artistes audacieux qu'il décourage.
[...]


III. Le moment artistique
[...]
Pour le public, - et je ne prends pas ici ce mot en mauvaise part, pour le public, une œuvre d'art, un tableau, est une suave chose qui émeut le cœur d'une façon douce ou terrible; c'est un massacre, lorsque les victimes pantelantes gémissent et se traînent sous les fusils qui les menacent; ou c'est encore une délicieuse jeune fille, toute de neige qui rêve au clair de lune appuyée sur un fût de colonne. Je veux dire que la foule ne voit dans une toile qu'un sujet qui la saisit à la gorge ou au cœur, et qu'elle ne demande pas autre chose à l'artiste qu'une larme ou qu'un sourire.
Pour moi, - pour beaucoup de gens, je veux l'espérer, - une œuvre d'art est, au contraire, une personnalité, une individualité.
Ce que je demande à l'artiste, ce n'est pas de me donner de tendres visions ou des cauchemars effroyables; c'est de se livrer lui-même, cœur et chair, c'est d'affirmer hautement un esprit puissant et particulier, une nature âpre et forte qui saisisse largement la nature en sa main et la plante, tout debout devant nous, telle qu'il la voit. En un mot, j'ai le plus profond dédain pour les petites habiletés, pour les flatteries intéressées, pour ce que l'étude a pu apprendre et ce qu'un travail acharné a rendu familier, pour tous les coups de théâtre historiques de ce monsieur et pour toutes les rêveries parfumées de cet autre monsieur.
Mais, j'ai la plus profonde admiration pour les œuvres individuelles, pour celles qui sortent d'un jet d'une main vigoureuse et unique.
Il ne s'agit donc plus ici de plaire ou de ne pas plaire; il s'agit d'être soi, de montrer son cœur à nu, de formuler énergiquement une individualité.
Je ne suis pour aucune école, parce que je suis pour la vérité humaine, qui exclut toute coterie et tout système. Le mot "art" me déplaît; il contient en lui je ne sais quelles idées d'arrangements nécessaires, d'idéal absolu.

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