Certain cercle de peintres, dont j'ai parlé
et dont je parlerai encore, était navré,
raconte la légende, de voir que M. Gleyre, un
artiste si digne et si honorable, se trouvât le
dernier sur la liste.
Or, un jour, un membre du cercle offrit de lui faire
donner une place excellente, à la condition que
tous ceux qui voteraient pour lui voteraient en même
temps pour M. Dubufe. Et voilà pourquoi M. Gleyre
est le sixième sur la liste, voilà pourquoi
M. Dubufe a, pour la première fois, l'honneur
de faire partie du jury. J'ai dit que ce n'était
là qu'une légende.
[...]
M. FROMENTIN. Grand ami de M. Bida. Il a été
en Afrique et en a rapporté de délicieux
sujets de pendule. Ses Bédouins sont d'un propre
à manger dans leurs assiettes. Tous ces artistes
suaves, qui comprennent la poésie, qui déjeunent
d'un rêve et qui dînent d'un songe, ont
de saints effrois à la vue des toiles leur rappelant
la nature, qu'ils ont déclarée trop sale
pour eux.
[...]
M. BRETON. Celui-ci est un peintre jeune et militant.
Il se serait écrié, en face des toiles
de M. MANET: Si nous recevons cela, nous sommes perdus.
"Qui, nous?... M. Breton en est aux paysannes qui
ont lu Lélia et qui font des vers le soir, en
regardant la lune. On parle de par le monde, de la noblesse
de ses figures. Aussi, tient-il à ne pas laisser
entrer un seul paysan vrai au salon. Cette année,
il en a gardé l'entrée, et il a mis impitoyablement
à la porte tout ce qui exhalait 1a puissante
odeur de la terre.
[...]
M. DAUBIGNY. Je ne saurais trop le louer. Il s'est conduit
en artiste et en homme de cur. Lui seul a lutté
contre certain de ses collègues, au nom de la
vérité et de la justice. "Ne refusons
que les nuls et les médiocres, disait-il; acceptons
les tempéraments, tous ceux qui cherchent et
qui travaillent." Belle parole, qui devrait être
la seule loi de ce tribunal d'artistes jugeant des artistes.
Les efforts de M. Daubigny ont été paralysés,
il a été battu dans chaque vote; à
deux ou trois reprises, il a parlé de se retirer,
devant les incroyables décisions de ses collègues.
[...]
M. DUBUFE. Il a été nommé le dix-septième,
afin que M. Gleyre fût nommé le sixième,
d'après la légende que j'ai contée
plus haut. M. Dubufe, qui peint les portraits au fard
et à la craie, a fait chorus avec MM. Breton
et Brion. Il a manqué de s'évanouir devant
le Joueur de fifre, de M.Manet, et a prononcé
ces paroles grosses de menace: "Tant que je ferai
partie d'un jury, je ne recevrai pas de toiles pareilles."
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