d'Edouard Manet rappelaient les gravures d'Epinal,
et il y a beaucoup de vrai dans cette moquerie qui est
un éloge; ici et là les procédés
sont les mêmes, les teintes sont appliquées
par plaques, avec cette différence que les ouvriers
d'Epinal emploient les tons purs, sans se soucier des
valeurs, et qu'Edouard Manet multiplie les tons et met
entre eux les rapports justes. Il serait beaucoup plus
intéressant de comparer cette peinture simplifiée
avec les gravures japonaises qui lui ressemblent par
leur élégance étrange et leurs
taches magnifiques. [
] On lui a reproché
d'imiter les maîtres espagnols. J'accorde qu'il
y ait quelque ressemblance entre ses premières
uvres et celles de ces maîtres: on est toujours
fils de quelqu'un. Mais, dès son Déjeuner
sur l'herbe*, il me paraît affirmer nettement
cette personnalité que j'ai essayé d'expliquer
et de commenter brièvement. [
]
II. Les uvres
[...]
Le Déjeuner sur l'herbe est la plus grande
toile d'Edouard Manet, celle où il a réalisé
le rêve que font tous les peintres: mettre des
figures de grandeur naturelle dans un paysage. On sait
avec quelle puissance il a vaincu cette difficulté.
Il y a là quelques feuillages, quelques troncs
d'arbres, et, au fond, une rivière dans laquelle
se baigne une femme en chemise; sur le premier plan,
deux jeunes gens sont assis en face d'une seconde femme
qui vient de sortir de l'eau et qui sèche sa
peau nue au grand air. Cette femme nue a scandalisé
le public, qui n'a vu qu'elle dans la toile. Bon Dieu!
quelle indécence: une femme sans le moindre voile
entre deux hommes habillés! Cela ne s'était
jamais vu. Et cette croyance était une grossière
erreur, car il y a au musée du Louvre plus de
cinquante tableaux dans lesquels se trouvent mêlés
des personnages habillés et des personnages nus*.
Mais personne ne va chercher à se scandaliser
au musée du Louvre. La foule s'est bien gardée
d'ailleurs de juger Le Déjeuner sur l'herbe
comme doit être jugée une véritable
uvre d'art; elle y a vu seulement des gens qui
mangeaient sur l'herbe, au sortir du bain, et elle a
cru que l'artiste avait mis une intention obscène
et tapageuse dans la disposition du sujet, lorsque l'artiste
avait simplement cherché à obtenir des
oppositions vives et des masses franches. Les peintres,
surtout Edouard Manet qui est un peintre analyste, n'ont
pas cette préoccupation du sujet qui tourmente
la foule avant tout; le sujet pour eux est un prétexte
à peindre, tandis que pour la foule le sujet
seul existe. Ainsi, assurément, la femme nue
du Déjeuner sur l'herbe n'est là
que pour fournir à l'artiste l'occasion de peindre
un peu de chair. [...] En 1865, Edouard Manet est encore
reçu au Salon; il expose un Christ insulté
par les soldats et son chef-d'uvre, son Olympia.
J'ai dit chef-d'uvre, et je ne retire
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