objets de nature répugnante soient écartés,
ainsi un pot de chambre ou un squelette). Ainsi l'industrie
qui nous donnerait un résultat identique à
la nature serait l'art absolu." Un Dieu vengeur
a exaucé les vux de cette multitude. Daguerre
fut son Messie. Et alors elle se dit: "Puisque
la photographie nous donne toutes les garanties désirables
d'exactitude (ils croient cela, les insensés!),
l'art, c'est la photographie." [
]
Comme l'industrie photographique était le refuge
de tous les peintres manqués, trop mal doués
ou trop paresseux pour achever leurs études,
cet universel engouement portait non seulement le caractère
de l'aveuglement et de l'imbécillité,
mais avait aussi la couleur d'une vengeance. [
]
La poésie et le progrès sont deux ambitieux
qui se haïssent d'une haine instinctive, et, quand
ils se rencontrent dans le même chemin, il faut
que l'un des deux serve l'autre. S'il est permis à
la photographie de suppléer l'art dans quelques-unes
de ses fonctions, elle l'aura bientôt supplanté
ou corrompu tout à fait, grâce à
l'alliance naturelle qu'elle trouvera dans la sottise
de la multitude. Il faut donc qu'elle rentre dans son
véritable devoir, qui est d'être la servante
des sciences et des arts, mais la très humble
servante, comme l'imprimerie et la sténographie,
qui n'ont ni créé ni suppléé
la littérature. Qu'elle enrichisse rapidement
l'album du voyageur et rende à ses yeux la précision
qui manquerait à sa mémoire, qu'elle orne
la bibliothèque du naturaliste, exagère
les animaux microscopiques, fortifie même de quelques
renseignements les hypothèses de l'astronome;
qu'elle soit enfin le secrétaire et le garde-note
de quiconque a besoin dans sa profession d'une absolue
exactitude matérielle, jusque-là rien
de mieux. Qu'elle sauve de l'oubli les ruines pendantes,
les livres, les estampes et les manuscrits que le temps
dévore, les choses précieuses dont la
forme va disparaître et qui demandent une place
dans les archives de notre mémoire, elle sera
remerciée et applaudie. Mais s'il lui est permis
d'empiéter sur le domaine de l'impalpable et
de l'imaginaire, sur tout ce qui ne vaut que parce que
l'homme y ajoute de son âme, alors malheur à
nous!
[
] De jour en jour l'art diminue le respect de
lui-même, se prosterne devant la réalité
extérieure, et le peintre devient de plus en
plus enclin à peindre, non pas ce qu'il rêve,
mais ce qu'il voit. Cependant c'est un bonheur de rêver,
et c'était une gloire d'exprimer ce qu'on rêvait;
mais que dis-je! connaît-il encore ce bonheur?
[
] Est-il permis de supposer qu'un peuple dont
les yeux s'accoutument à considérer les
résultats d'une science matérielle comme
les produits du beau n'a pas singulièrement,
au bout d'un certain temps, diminué la faculté
de juger et de sentir ce qu'il y a de plus éthéré
et de plus immatériel?
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