Disons ensuite, pour le public, qu'il ne trouvera point
là de toiles stigmatisées et déjà
compromises par un refus. Ce sont toutes uvres
originales, qui n'ont comparu devant aucun jury, qui
par conséquent n'ont subi aucune décision
de nature à les déconsidérer. Elles
se présentent vierges devant l'amateur, dont
la liberté d'appréciation demeure ainsi
entière. Et ne croyez pas que l'ensemble soit
maigre ou n'ait qu'une chétive importance. [...]
Pour calculer l'écart qui sépare leur
mode d'interprétation du mode d'interprétation
antérieurement adopté, il faut se placer
devant les toiles de MM. Pissarro, Monet, Sisley, Renoir,
Degas, Guillaumin, et aussi devant celles de Mlle Berthe
Morisot. C'est là l'état-major de la nouvelle
école, ?si école il y a, ce que nous verrons
tout à l'heure.
Ironie! ce sont quatre jeunes gens et une demoiselle
qui, depuis cinq ou six ans, font trembler le jury!
C'est pour barrer le chemin à ces quatre jeunes
gens et à cette demoiselle que, depuis cinq ou
six ans, le jury accumule les sottises, entasse les
abus de pouvoirs, se compromet si bien devant l'opinion,
qu'il n'y a plus aujourd'hui un homme en France qui
osât parler en sa faveur!
Voyons donc un peu ce que nous annoncent de si monstrueux,
de si subversif de l'ordre social, ces terribles révolutionnaires.
Sur les cendres de Cabanel et de Gérôme,
je le jure, il y a ici du talent, et beaucoup de talent.
Cette jeunesse a une façon de comprendre la nature
qui n'a rien d'ennuyeux ni de banal. C'est vif, c'est
preste, c'est léger; c'est ravissant. Quelle
intelligence rapide de l'objet et quelle facture amusante!
C'est sommaire, il est vrai, mais combien les indications
sont justes! [...]
Les vues communes qui les réunissent en groupe
et en font une force collective au sein de notre époque
désagrégée, c'est le parti pris
de ne pas chercher le rendu, de s'arrêter a un
certain aspect général. L'impression une
fois saisie et fixée, ils déclarent leur
rôle terminé. La qualification de Japonais,
qu'on leur a donnée d'abord, n'avait aucun sens.
Si l'on tient à les caractériser d'un
mot qui les explique, il faudra forger le terme nouveau
d'impressionnistes. Ils sont impressionnistes
en ce sens qu'ils rendent non le paysage, mais la sensation
produite par le paysage. Le mot même est passé
dans leur langue: ce n'est pas paysage, c'est
impression que s'appelle au catalogue le Soleil
levant de M. Monet. Par ce côté, ils
sortent de la réalité et entrent en plein
idéalisme.
Ainsi ce qui les sépare essentiellement de leurs
prédécesseurs, c'est une question de plus
ou de moins dans le fini. L'objet de l'art ne change
pas, le moyen de traduction seul est modifié,
d'autres diraient altéré.
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