et qui a pour titre l'Homme des foules? Derrière
la vitre d'un café, un convalescent, contemplant
la foule avec jouissance, se mêle par la pensée,
à toutes les pensées qui s'agitent autour
de lui. Revenu récemment des ombres de la mort,
il aspire avec délices tous les germes et tous
les effluves de la vie; comme il a été
sur le point de tout oublier, il se souvient et veut
avec ardeur se souvenir de tout. Finalement, il se précipite
à travers cette foule à la recherche d'un
inconnu dont la physionomie entrevue l'a, en un clin
d'il, fasciné. La curiosité est
devenue une passion fatale, irrésistible!
Supposez un artiste qui serait toujours, spirituellement,
à l'état du convalescent, et vous aurez
la clef du caractère de M. G.
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La foule est son domaine, comme l'air est celui de l'oiseau,
comme l'eau celui du poisson. Sa passion et sa profession,
c'est d'épouser la foule. Pour le parfait flâneur,
pour l'observateur passionné, c'est une immense
jouissance que d'élire domicile dans le nombre,
dans l'ondoyant dans le mouvement, dans le fugitif et
l'infini. Etre hors de chez soi, et pourtant se sentir
partout chez soi; voir le monde, être au centre
du monde et rester caché au monde, tels sont
quelques-uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants,
passionnés, impartiaux, que la langue ne peut
que maladroitement définir. L'observateur est
un prince qui jouit partout de son incognito. [
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Mais le soir est venu. C'est l'heure bizarre et douteuse
où les rideaux du ciel se ferment, où
les cités s'allument. Le gaz fait tache sur la
pourpre du couchant. Honnêtes ou déshonnêtes,
raisonnables ou fous, les hommes se disent: "Enfin
la journée est finie!" Les sages et les
mauvais sujets pensent au plaisir, et chacun court dans
l'endroit de son choix boire la coupe de l'oubli. M.
G. restera le dernier partout où peut resplendir
la lumière, retentir la poésie, fourmiller
la vie, vibrer la musique; partout où une passion
peut poser pour son il, partout où l'homme
naturel et l'homme de convention se montrent dans une
beauté bizarre, partout où le soleil éclaire
les joies rapides de l'animal dépravé!
[
] Maintenant, à l'heure où les
autres dorment, celui-ci est penché sur sa table,
dardant sur une feuille de papier le même regard
qu'il attachait tout à l'heure sur les choses,
s'escrimant
avec son crayon, sa plume, son pinceau, faisant jaillir
l'eau du verre au plafond, essuyant sa plume sur sa
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