Paul
Thouzery
1.Artikel
Salon de 1866
Le Salon de 1866 vient d’ouvrir ses portes au public, et déjà
l’on entend les pessimistes qui vont partout criant que l’art est mort
et que le dernier des artistes est allé rejoindre ses aïeux
dans la tombe. Sans imiter le docteur Pangloss et sans trouver, comme
cet inaltérable optimiste, que tout est pour le mieux dans le
meilleur des Salons, nous pensons pourtant que l’exposition de cette
année n’est pas le moins du monde inférieure à
la plupart de ses aînées. Depuis que nous nous occupons
de critique picturale, du reste, nous avons eu souvent l’occasion de
prouver la fausseté de ces jérémiades des philistins
de la capitale. Non, l’Art n’est pas mort, et l’Art ne mourra point
tant que du moins nous aurons des artistes comme MM. Fromentin,
Courbet,
Hamon, Dubuffe,
Gérôme, Levy, Armand Dumaresq,
Jules Dusaussay, Daubigny, Achenbach,
Feyen-Perrin, Glaize, Moreau, Amaury Duval, Aibot, Vollon,
Mouchot et tant d’autres. Mais si le Salon de 1866 contient, à
notre avis, un grand nombre d’excellentes toiles, il ne renferme pas,
il faut bien le dire, d’œuvre complètement hors ligne. C’est
du reste uniquement sur ce fait, si facile pourtant à expliquer,
que s’appuient les détracteurs de l’Art moderne pour brailler
sur tous les tons que nous sommes en pleine décadence. Eh bien
nous, au risque de passer pour un profanateur, nous dirons que, selon
notre pensée, - à part quelques-uns des grands maîtres
comme Raphaël, Murillo et leurs émules, - jamais on n’a
peint aussi bien qu’on peint aujourd’hui et, - que si personne ne sort
trop ostensiblement de la ligne générale, - c’est que
cette ligne est non seulement beaucoup plus haute qu’elle n’a jamais
été, mais encore c’est que le nombre des artistes est
devenu dix fois plus considérable. Eh, mon Dieu ! il en est de
la peinture comme de la littérature. Les écrivains du
siècle de Louis XIV étaient de grands génies sans
doute, mais combien en comptait-on ? Cinq ou six au plus. Aujourd’hui
nous avons deux cents littérateurs d’un talent immense. Comment
voulez- vous que tous arrivent à une égale célébrité
? A notre première visite au Salon, nous avons remarqué
surtout les tableaux suivants. Nous citons au hasard : Tribu en marche
vers les pâturages du Tell, Fromentin ; les Cuirassiers, Armand
Dumaresq ; l’Assassiné, Carolus Duran ; Cléopâtre
amenée devant César, Gérôme
; la Remise des chevreuils et une Femme nue jouant avec un perroquet,
Courbet ;
la Mort d’Orphée, Emile Levy ; un Bazar turc, Louis Mouchot ;
les Tableaux de Blaise Desgoffe, une Nature morte, A. Delmotte, un Mariage
de raison, Toulmouche ; un Marchand chinois comptant ses sapèques,
Théodore Delamarre ; les Premières hirondelles, Jules
Dusaussay ; l’Enfant prodigue, Dubufe ; un Coin de Jardin, Jules Valadon.
Dans nos prochains articles, nous parlerons longuement de ces toiles
et de bien d’autres. Paul Thouzery.
2.Artikel
Salon de 1866
Messieurs les artistes nous ont donné ces jours derniers un curieux
spectacle, et il faut avouer, à leur honte, qu’ils ont singulièrement
usé, ou plutôt abusé, du droit - qu’ils exerçaient
pour la première fois du reste - de désigner eux-mêmes
les exposants dignes de recevoir les médailles d’honneur décernées
chaque année aux auteurs des deux œuvres les plus recommandables.
« Le jury est trop partial, criaient-ils il y a quelques mois ; laissez-nous
la liberté de voter, nous saurons bien désigner les tableaux
qui ont le plus de mérite, etc., etc. On leur accorde la faveur
qu’ils sollicitaient si vivement. Chacun croyait qu’ils allaient tous
voter comme un seul homme. Ah bien oui ! c’était peu connaître
la nature humaine : sur 506 artistes inscrits, 197 seulement ont voté,
309 se sont abstenus. Au dépouillement du scrutin, on a trouvé
44 candidats en présence. Un seul réunissait 28 voix,
18 n’en avaient obtenu qu’une (sic). Enfin, 39 bulletins blancs annonçaient
que 39 artistes étaient d’avis qu’il n’y avait pas lieu de donner
de médailles d’honneur. Voilà un fait qui parle de lui-même,
et qui montre, ce nous semble, qu’il est bien difficile de compter sur
le système inauguré l’autre jour pour savoir au juste
quels sont les artistes qui ont bien mérité de la patrie.
Faire décider cette grave question par MM. les peintres eux-mêmes,
c’est leur demander à la fois, de l’abnégation, de l’impartialité,
de l’héroisme enfin. Ont-ils toutes ces qualités ? Nous
n’oserions l’affirmer après le vote du 28 mai. Cela dit, faisons
comme au salon de Curtius, et passons à l’explication des figures.
L’Enfant prodigue, de M. Dubufe, la première toile que l’on aperçoive
en entrant dans le salon d’honneur, est un grand et beau tableau d’un
effet tout à fait remarquable. Le cadre est divisé en
trois parties : à droite, on aperçoit le fils prodigue
gardant les pourceaux ; à gauche, on le voit revenant chez son
père ; enfin la scène du milieu de ses compagnons de plaisirs.
De joyeux jeunes hommes, de belles jeunes femmes, des joueurs, des musiciens,
des chanteurs, des danseuses, rien ne manque à cette fête,
qui est rendue avec un talent hors ligne. Évidemment le tableau
de M. Dubufe est un des meilleurs du Salon. Paul Thouzery. (La suite
au prochain numéro)
3.
Artikel Salon de 1866 (Suite et fin.)
La Charge de cuirassiers à Eylau, de M. Armand Dumaresq, nous
a paru surpasser tout ce que nous connaissions déjà de
ce consciencieux et brillant artiste. Quelle furia ont ces soldats entraînés
par le clairon qui sonne la charge ! Comme ces chevaux sont lancés
! Tout dans le tableau de M. Dumaresq respire le mouvement, la vie,
la vérité. Son œuvre, que tout le monde a acclamée
du reste, comptera comme une des meilleures du genre ; nous l’en félicitons.
Un peintre qui semble s’être voué à la reproduction
des chinoiseries, M. Théodore Delamarre, a exposé cette
année un petite toile qui a pour titre : Marchand chinois comptant
ses sapèques. Il y a dans ce tableau, outre une fraîcheur
de coloris fort remarquable, un cachet de vérité qui atteste
chez M. Delamarre une connaissance approfondie des mœurs des habitants
du Céleste Empire. S’il ne les a pas vus, il les a devinés.
Le Marchand chinois comptant ses sapèques est un charmant pendant
à l’Intérieur chinois, exposé il y a deux ans par
M. Théodore Delamarre. Parmi les peintres de fleurs, - assez
nombreux au Salon cette année, - il convient de citer en première
ligne M. Jules Valadon, dont le Coin de jardin est reellement plein
de charmes. Comme cette rose trémière qui occupe le milieu
du tableau est bien peinte ! quelle science de touche ! quelle sûreté
de main possède M. Valadon ! Son Verre d’eau est aussi très
remarquable. La Remise des chevreuils, de M. Courbet,
est un tableau sur lequel, à l’heure qu’il est, tout le monde
a discouru avec plus ou moins de justice, il faut bien le dire. Pour
nous, nous croyons que cette toile est une des meilleures du maître,
et nous sommes heureux de voir qu’au moment où ses amis mêmes
commençaient à douter de lui, Courbet
ait si brillamment affirmé la souplesse et la force de son génie.
Les Poissons, de M.A. Delmotte, - un jeune artiste qui promet, - sont
d’un naturel exquis. On voit que l’artiste peint d’après nature
et en toute conscience ; c’est là une qualité qu’on ne
saurait trop louer. Avec de la persévérance M. Delmotte
arrivera infailliblement. Un tableau d’une grande valeur est celui qui
représente les Massacres de Vilna. Que de belles têtes
! que de nobles figures dans ces vaillants Polonais qui attendent si
courageusement le moment du supplice ! Comme le visage de cette mère
qui voit tomber sa fille auprès d’elle est effrayant de douleur
et de vérité ! En décernant une médaille
à l’œuvre de M. Tony Robert- Fleury,
le jury a répondu au vœu de tous. Les Massacres de Vilna sont
une des meilleures toiles du Salon. M. Jules Dusaussay, un artiste qui
a fait ses preuves, a exposé cette année deux toiles,
deux bijoux qui nous ont longtemps fait rêver auprès d’elles.
Quelle poésie dans les Premières hirondelles ! Quel sentiment
exquis dans la Dernière heure ! Et puis comme M. Dusaussay comprend
son art ! Oh ! Philistins, oh ! Benoitons de tous les étages,
vous qui criez que la peinture est morte, venez donc admirer la Dernière
heure et les Premières hirondelles et vous conviendrez ensuite
que l’art ne mourra pas tant qu’il y a aura des artistes comme celui
dont nous vont parlons.
Paul
Thouzery