plus loin encore. Dans l'unité qui s'appelle
nation, les professions, les castes, les siècles
introduisent la variété, non seulement
dans les gestes et les manières, mais aussi dans
la forme positive du visage. Tel nez, telle bouche,
tel front remplissent l'intervalle d'une durée
que je ne prétends pas déterminer ici,
mais qui certainement peut être soumise à
un calcul. De telles considérations ne sont pas
assez familières aux portraitistes; et le grand
défaut de M. Ingres, en particulier, est de vouloir
imposer à chaque type qui pose sous son il
un perfectionnement plus ou moins despotique, emprunté
au répertoire des idées classiques.
[
] Si un peintre patient et minutieux, mais d'une
imagination médiocre, ayant à peindre
une courtisane du temps présent, s'inspire (c'est
le mot consacré) d'une courtisane de Titien ou
de Raphaël, il est infiniment probable qu'il fera
une uvre fausse, ambiguë et obscure. L'étude
d'un chef-d'uvre de ce temps et de ce genre ne
lui enseignera ni l'attitude, ni le regard, ni la grimace,
ni l'aspect vital d'une de ces créatures que
le dictionnaire de la mode a successivement classées
sous les titres grossiers ou badins d'impures, de filles
entretenues, de lorettes et de biches.
[
] Malheur à celui qui étudie dans
l'antique autre chose que l'art pur, la logique, la
méthode générale! Pour s'y trop
plonger, il perd la mémoire du présent;
il abdique la valeur et les privilèges fournis
par la circonstance; car presque toute notre originalité
vient de l'estampille que le temps imprime à
nos sensations. [
]
VIII. Le militaire
Pour définir une fois de plus le genre de sujets
préférés par l'artiste, nous dirons
que c'est la pompe de la vie, telle qu'elle s'offre
dans les capitales du monde civilisé, la pompe
de la vie militaire, de la vie élégante,
de la vie galante. Notre observateur est toujours exact
à son poste, partout où coulent les désirs
profonds et impétueux, les Orénoques du
cur humain, la guerre, l'amour, le jeu; partout
où s'agitent les fêtes et les fictions
qui représentent ces grands éléments
de bonheur et d'infortune. Mais il montre une prédilection
très marquée pour le militaire, pour le
soldat, et je crois que cette affection dérive
non seulement des vertus et des qualités qui
passent forcément de l'âme du guerrier
dans son attitude et sur son visage, mais aussi de la
parure voyante dont sa profession le revêt. [
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