Notre siècle ne se relèvera pas de cette
fièvre d'imitation qui l'a mis sur le flanc.
"Phidias et Raphaël ont jeté leurs
grappins sur nous." Les cousins, les héritiers,
ou plutôt "les esclaves de ces grands hommes"
sont des pédagogues infimes. Que nous enseignent-ils?
Rien. Jamais bon tableau ne sortira de l'Ecole des
Beaux-Arts. Voyez la collection des Prix de Rome.
Ils sont tous pareils et comme sortis d'un cliché.
Il n'y a donc de précieux que l'originalité,
l'indépendance de l'artiste, et la leçon
d'actualité que l'on peut tirer de ses ouvrages.
A quoi lui servira de faire des tableaux à la
manière de Raphaël, du Titien, de Véronèse
ou de Rembrandt, si ce n'est à montrer sa prétentieuse
impuissance? (S. 49-51)
Ses paysages sont très vrais, mais d'une vérité
matérielle; ils ne rendent pas le côté
vaste, mystérieux de la nature, et les sites
qu'il choisit ordinairement n'intéressent pas.
On dira que les plages de Van Goyen, les champs et les
bois de Ruysdaël, les pâturages de Paul Potter
sont surtout admirables, parce que leurs auteurs n'ayant
jamais quitté la Hollande, la connaissaient à
fond et l'ont rendue en toute vérité.
D'accord; mais ce n'est pas seulement par l'exactitude
physique que ces artistes triomphent, c'est encore par
l'intensité du sentiment personnel.
Courbet est une nature trop personnelle, trop
volontaire pour se condamner absolument à l'objectivité;
mais il a des partis pris mesquins. L'action manque
à ses figures, parce qu'il est lui-même
inerte; elles n'ont pas d'élévation, parce
que son esprit ne quitte pas le terre à terre.
Le patriotisme de clocher, le provincialisme, sentiment
vif et touchant, mais qui borne la vue, est empreint
dans tous ses ouvrages. A ce provincialisme ajoutez
le goût du burlesque et l'amour du scandale. Nous
donnons toujours aux objets aimés quelque chose
de nous-mêmes: ses figures de prédilection
sont niaises. Il voit des mondes merveilleux dans la
grosse Baigneuse, dans l'homme qui ramène un
cochon de la foire, dans les chantres d'Ornans; mais
il a des rires affligeants devant la sublime ordonnance
de l'Ecole d'Athènes qu'il ne comprendra
jamais et en présence des figures majestueuses
et terribles du Jugement dernier de Michel-Ange,
le père des géants. Courbet flatte avec
une rare tendresse les Aires côtés de son
talent, arrose comme des fleurs les vices de son esprit
et engraisse son ignorance dans l'oubli du respect humain.
(S. 56f)
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