Baudelaire-Ingres
Charles Baudelaire, "Exposition
Universelle 1855", in: Curiosités esthétiques,
L'Art romantique et autres uvres critiques,
Paris 1962, S. 222-230.
Deutsche Übersetzung
II. - Ingres [...] Maintenant, pour reprendre le cours
régulier de notre analyse, quel est le but de
M. Ingres? Ce n'est pas, à coup sûr, la
traduction des sentiments, des passions, des variantes,
des passions, des variantes de ces passions et de ces
sentiments; ce n'est pas non plus la représentation
de grandes scènes historiques (malgré
ses beautés italiennes, le tableau du Saint Symphorien,
italianisé jusqu'à l'empilement des figures,
ne révèle certainement pas la sublimité
d'une victime chrétienne, ni la bestialité
féroce et indifférence à la fois
des païens conservateurs). Que cherche donc, que
rêve donc M. Ingres? Qu'est-il venu dire en ce
monde? Quel appendice nouveau apporte-t-il à
l'évangile de la peinture?
Je croirais volontiers que son idéal est une
espèce d'idéal fait moitié de santé,
moitié de calme, presque d'indifférence,
quelque chose d'analogue à l'idéal antique,
auquel il a ajouté les curiosités et les
minuties de l'art moderne. C'est cet accouplement qui
donne souvent à ses uvres leur charme bizarre.
Épris ainsi d'un idéal que mêle
dans un adultère agaçant la solidité
calme de Raphaël avec les recherches de la petite-maîtresse,
M. Ingres devait surtout réussir dans les portraits;
et c'est en effet dans ce genre qu'il a trouvé
ses plus grands, ses plus légitimes succès.
[...] M. Ingres choisit ses modèles, et il choisit,
il faut le reconnaître, avec un tact merveilleux,
les modèles les plus propres à faire valoir
son genre de talent. Les belles femmes, les natures
riches, les santés calmes et florissantes, voilà
son triomphe et sa joie!
[...] Quelle est la qualité du dessin de M. Ingres?
Est-il la qualité supérieure? Est-il absolument
intelligent? Je serai compris de tous les gens qui ont
comparé entre elles les manières de dessiner
des principaux maîtres en disant que le dessin
de M. Ingres est le dessin d'un homme à système.
Il croit que la nature doit être corrigée,
amendée; que la tricherie heureuse, agréable,
faite en vue du plaisir des yeux, est non seulement
un droit, mais un devoir. On avait dit jusqu'ici que
la nature devait être interprétée,
traduite dans son ensemble et avec toute sa logique;
mais dans les uvres du maître en question
il y a souvent dol, ruse, violence, quelquefois tricherie
et croc-en-jambe. [...]
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