SALON DE 1866
F. de Tal
Chronique des arts, no. 145, 13. Mai 1866
(145) En prenant la plume pour parler de l'exposition, notre intention
n'est point de juger les œuvres de nos artistes réunies au palais
des Champs-Elysées. C'est à M. Charles Blanc qu'échoit,
celte année, la mission délicate de rendre compte du Salon
dans la Gazette des Beaux-Arts, et on comprendra facilement qu'en face
d'une telle autorité, nous nous bornions à un rôle
des plus modestes. Ce que nous voulons seulement, c'est satisfaire la
curiosité de nos abonnés de province désireux de
connaître les œuvres les plus saillantes, et faciliter une visite
au Salon à ceux des amateurs parisiens qui n'auraient point le
temps de passer en revue les 1.998 peintures, les 616 dessins, les 389
sculptures, les 216 gravures et lithographies envoyés à
l'exposition. Le salon d'honneur, par lequel on entre, ne contient point
exclusivement, comme les années précédentes, les
peintures officielles et les portraits des hauts dignitaires, mais encore
un bon nombre des œuvres les plus distinguées de l'exposition.
Nous y avons trouvé la Tribu nomade en marche vers les pâturages
du Tell, que S. Exc. Khalil-Bey vient de payer 20,000 francs à
M. Fromentin ; L'Assassiné, grande composition due à M.
Duran, un nouveau venu; Une Fusillade à Varsovie, épisode
terrible de la guerre de Pologne, interprété dans la manière
de Paul Delaroche par le fils de M. Robert-Fleury. La peinture militaire
y est représentée par les deux dernières œuvres
de Bellangé : La Garde meurt et l’Escadron repoussé; par
une Charge de cuirassiers de M. Schreyer et par de petites toiles de
M. Brown. Quant au paysage, il y brille d'un vif éclat avec la
Remise de chevreuils, une des œuvres les plus excellentes de M. Courbet;
et avec les toiles de MM. Nason, Paul, Huet, Lanoue et Busson.
Si maintenant nous pénétrons dans la salle qui s'ouvre
à droite et au fond du grand salon, nous rencontrons successivement
le Saint Vincent de Paul de M. Bonnat, qui a aussi exposé un
très-remarquable tableau représentant des paysannes napolitaines;
un bon portrait de M. Bracquemond et des paysages de MM. Appian, Achenbach,
Anastasi, Emile Breton et Acnard.
A. droite et à gauche des deux grandes figures de M. Bouguereau
nous remarquons, de M. Bon-heur, des paysages avec animaux, et de M.
Berchère, une scène empruntée à la vie africaine
et les Murailles de Jérusalem, près de l'ancien camp des
croisés.
Dans la salle voisine, deux paysages de M. Corot
encadrent une toile de M. Comte: Charles-Quint après son abdication,
et en face se voient un portrait de M. Cambon et des Paysans de l'Auvergne
assistant à la messe, œuvre d'un peintre, M. Berthon, appelé
à être connu.
Après avoir traversé la salle où l'on voit la Femme
au perroquet de Courbet et le plafond que M. Chaplin a fait pour l'hôtel
Demidoff, on entre dans une vaste salle destinée à contenir
les grandes peintures religieuses qui ne se font pas plus remarquer
que par le passé. Si on incline à (146) gauche, on pénètre
dans le salon consacré aux envois de Rome, et plus loin dans
les galeries où Mmes. Browne et MM. Flameng, La Guillermie, Lalanne,
Gaucherel, Chifflart, Valerio, Jacquemart, Jacque, Haussoullier, Gaillard,
Corot, Seymour-Haden, de Rochebrune, Edouard
Lièvre, Dananche, ont exposé leurs eaux-fortes à
cote des burins de MM. Poncet, Deveaux, Leruy-Massard et Weber.
Si on tourne à droite, on rencontre de nouvelles galeries de
peinture contenant les paysages de MM. Daubigny,
Doré et Français; les paysanneries de MM. Dansaert et
Edouard Frère, un beau portrait de femme par M. Giacomotti; les
Musiciens de la rue, par M. Feyen, les Femmes de l'île de Batz,
par M. Feyen-Porrin, et des paysages ou des marines de MM. Paul Flandrin,
Groiseilliez et Girardon. Dans ces salles nous sommes encore arrêté
par la Poème, de M. Gigoux; les Muses de Pompei, de M. Ha-mon;
un beau profil de femme sur fond rouge, par M. Henner; une Antichambre
de M. Heilbuth, et deux portraits de M. Hébert. Le paysage y
figure honorablement avec une ferme de M. Hanoteau et deux toiles de
M. Harpignies.
Il nous faut retraverser le salon d'honneur pour gagner une salle qui
s'ouvre en face de nous et qui renferme un ravissant portrait da femme
de M. Jalabert, d'excellentes peintures de chasse de M. Lambert, de
bons tableaux de genre de M. Eugène Leroux et une scène
du meilleur comique de M. Yundt : Une noce surprise par un orage.
La salle qui suit est une de celles où l'on ai-mera le plus à
retourner pour y admirer : YOrphée et l'Idylle, de M. Emile Lévy;
le Printemps, de M. Marshal, et la Ménagerie, de M. Meyerheim;
le portrait de M. Dumon et Y Arrime de Sarah chez les parents de Tobie,
par M. Lehmann.
Marchant toujours devant nous, nous trouvons l’Orphée et le Diomède
de M. Moreau, les tableaux de genre de M. Meissonier fils, le Bazar
de M. Mouchot et les marines de M. Masure; plus .loin, les Pilleurs
de mer de M. Luminais; la Marguerite de M. Merle; une marine de M. Jules
Noël, et nous arrivons à une grande salle qui fixera peu
notre attention.
C'est sur cette grande salle que s'ouvrent les galeries consacrées
aux dessins et aux aquarelles, où nous relèverons les
noms de MM. GailIard, Brandon, Pollet, Bonvin, Dubouché, Lehmann,
Gustave Moreau, Pils, Flandrin
et Amaury Duval, a roté de ceux de la princesse Matilde, de Mmes
la baronne Charlotte do Rothschild et la comtesse de Dampierre. Tout
au fond est la salle accordée aux miniaturistes, qui redemanderont
certainement à voir leurs œuvres exposées sur des pupitres.
On y trouve quelques peintures sur faïences ou porcelaines, parmi
lesquelles nous signalerons une frise très-décorative
de M. Gluck.
Il nous faut revenir sur nos pas pour rentrer dans les galeries de peinture
où il nous reste à voir le Fou de M. Roybet, qui, dès
l'ouverture, a été déclaré un des lions
du Salon; les peintures décoratives de M. Puvis de Chavannes;
des animaux de M. Palizzi; des fleurs de M. Philippe Rousseau; les Fouilles
à Pompéi de M. Sain et les charmants tableaux de genre
de M. Schlœsser. N'oublions pas aussi de signaler les animaux de M.
Schenck et les deux toiles de M. Tissot qui, dans le Confessionnal,
accuse une voie nouvelle ; le Mariage de raison de M. Toulmouche et
les Centaures de M. Schutzenberger qui expose en-core une bonne tête
de faunesse; un village oriental de M. Tournemine et un des meilleurs
ta-bleaux de style du Salon: La Muse et le Poète, par M. Timbal. Dans
cette dernière salle se voient encore les tableaux religieux
de M. Ribot, qui n'est point en progrès; une scène de
deuil dans laquelle M. Vautier a su saisir et varier, avec un rare bonheur,
le caractère de chacune des femmes venues pour consoler la veuve,
des natures mortes de M. Vollon.
Dans cette première visite nous avons oublié certainement
quelques ouvrages qui mériteraient d'être cités;
mais, malgré les erreurs que nous avons pu commettre dans un
pareil procès-verbal, on peut, croyons-nous, se former une idée
de l'ensemble des œuvres qui provoquent un légitime intérêt
dans ce Salon où manquent Pils, Cabanel,
Baudry, Meissonier et Breton.
Il ne nous reste plus qu'à descendre au rez-de-chaussée
où, par une circonstance fatale qui, nous aimons à l'espérer,
ne se renouvellera point, sont entassées les sculptures qui réclament
à grands cris le jour éclatant du jardin. Peu d'œuvres
saillantes nous y attendent et beaucoup nous sont déjà
connues par les plâtres. Cependant il est juste de signaler le
Génie funèbre do M. Bartholdi, un fronton du Pavillon
de Flore et le portrait du Prince impérial, par M.Carpaux; l'Angelica
de M. Carrier-Belleuse; la Madeleine de M. Chatrousse; l'Adolescence
de M. Gumery; Daphnis et Naïs de M. Loison; la Studiosa de M. Moreau,
et divers bustes de MM. Oudiné, Leharivel et Oliva.
Il ressort de notre visite que la peinture de style est absente ou peu
s'en faut du Salon, que le genre et le paysage tiennent une place considérable
par le nombre comme par la qualité des œuvres. Mais nous n'avons
point à formuler ici un jugement; la plume plus autorisée
de M. Charles Blanc dira dans la Gazette quelle est la si(147)tuation
des arts en France; notre rôle se borne à satisfaire une
première curiosité en dressant en courant une nomenclature,
aussi complète que possible, des oeuvres qui appellent le plus
l’attention.
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