Littérature et Beaux-Arts.

LE SALON DE 1866.

Il ne nous a pas été possible, pressés que nous étions par d'autres travaux, de rendre compte du Salon de cette année. Nous en demandons humblement pardon à nos lecteurs, aux artistes, au Christ, principe de l'art divin, à Notre-Dame, Reine de toute Beauté. Quant notre petit groupe du Mémorial Catholique disposera de forces plus nombreuses, il ne perde jamais l'occasion d'entretenir ses lecteurs du mouvement de toutes les formes de l'art et du progrès des artistes vers Dieu. Nous aurions eu à signaler une inspiration neuve, une idée, chose rare dans le monde des architectes: toute une décoration d'église puisée par M. Lameire, dans l'Apocalypse de Saint Jean. Nous aurions eu à louer MM. Robert Fleury fils, Georges Clairin, Janet Lange, Protais, Bannes de Puygiron qui consacrent leur talent à faire détester la guerre; MM. Henri, Michel, Bruno Cherrier, Jobé Duval, Cornet, Darier, Lazerges, Vibert, Savinien Petit, Doré, et bien d'autres qui illustrent dignement nos grands sujets Bibliques. On a vanté généralement, parmi les artistes surtout, le Saint l'incent de Paul de Bonnat, qui fera mieux encore. On n'a pas assez remarqué la grande et belle composition (dessin) de Lehmann, l'universel soulagement en Jésus-Christ. Nous regrettons que notre peintre éminent persiste à la suite de Raphaël; à l'exemple des Byzantins, à préférer Saint Jean-Baptiste à Saint Jean l'Evangéliste, le précurseur du Jourdain à l'ami du Calvaire. Nous aurions consacré une Etude respectueuse aux œuvres de deux artistes d'élite, Louis Janmot et Gustave Moreau. L'un a été traité avec assez de légèreté par la critique, et l'autre presque absolument oublié. Deux hommes d'inspiration sérieuse et de grand goût, qui ont eu le courage et l'énergique patience d'aller chercher et de ranimer la tradition du Mantegna et de Léonard, de Fra Angelico et du jeune Raphaël; et la critique perd son temps à leur faire un reproche de ce pieux respect des sources les plus pures de l'art! Janmot a l'imagination, le talent de composition, un dessin d'une rare finesse, avec le style de la plus saine tradition religieuse, presque toutes les qualités, sauf l'harmonie du coloriste (et qui donc a toutes les vertus?). Eh bien! Le public passe les yeux fermés devant son œuvre, et s'en va s'extasier devant une très brillante peau de chevreuil de Courbet; et il donnera même plus d'attention à l'ignoble bacchante de ce puissant et grossiers réaliste qu'au saint Martyr du peintre spiritualiste et chrétien... Le Parisien se vante d'être la tête du monde philanthrope, civilisateur et sauveur de l'humanité: et pourtant, si l'on peut compter sur sa faveur en lui peignant force bestiaux et courtisanes bestiales, on n'obtient pas même un regard de son âme distraite en représentant, devant lui, le plus bel et pur acte d'héroïsme humanitaire et d'évangélisation divine, la courageuse prédication et la mort sublime de Saint Etienne, ce parfait imitateur de Jésus-Christ!.... L'homme animal, hélas! Préfère aux œuvres qu'inspire l'esprit de Dieu, les œuvres que soufflent les esprits d'en bas (1). Ces esprits animaux ont même soufflé leur dédain sur l'Orphée de Gustave Moreau: un sujet, pourtant, qui doit être agréable à nos lettrés de la (1) 1 Cor. II, 14. - S. 353 - Renaissance, puisqu'il est emprunté à l'antiquité païenne. Pour notre part, nous estimons fort ce sujet, qu'ont traité avec des mérites divers MM. Lévy et Laëmlin. Orphée et Alceste sont d'admirables figures qui ont inspiré l'un des plus grands génies de l'art moderne, Gluck, dont la tombe porte cette double sainte épitaphe: grand musicien, bon chrétien. Puissent nos artistes

embrasser indissolublement ces deux grandeurs de l'art et de la piété, et comprendre qu'en Jésus-Christ tout s'illumine et s'immortalise! L'Orphée de Gustave Moreau est, de tous points, sauf quelques légers détails, une œuvre hors ligne, d'une délicatesse exquise, d'une pureté ravissante. C'est un peu moins vigonreux que l'Oedipe, moins rudement puissant que le Diomède dévoré par ses chevaux sous les yeux d'Hercule; mais que de calme pureté, toute pénétrée de tendresse! Il y a pour nous, chrétiens, dans ce tableau, sorti des profondeurs du cœur sous le rayon d'une noble et charmante intelligence, il y a un progrès, il y a une espérance. Il manque à cette composition un trait qui aurait eu son éloquence. Puisque dans son tableau de Diomède, l'artiste penseur nous a montré comment le dieu sauveur des païens présidait aux exécutions de la justice olympienne, tranquillement assis, les jambes pendantes, et, comme prenant plaisir, à un spectacle agréable, pourquoi ne nous a-t-il pas montré comment l'Olympe tout entier assistait insouciant à la mort d'Orphée à l'immotation de ce type de pureté morale? C'eût été le cas, pour un peintre chrétien, de dire un peu son petit mot sur la Philosophie de l'histoire ancienne. Mais laissons les questions d'esthétique évangelique. Nous les reprendrons, l'an prochain, durant l'Exposition universelle, et devant les œuvres de nos grands et chers artistes. Pour aujourd'hui, bornons-nous à prendre acte, selon notre habitude, de l'état comparé des inspirations chez nos artistes. Le Salon contenait 3,338 œuvres; ajoutons les ouvrages produits dans les monuments publics environ 60, en tout, à peu près 4,000: Sur lesquelles œuvres plus de 3,000 sont des produits d'un art absolument désintéressé de toute préoccupation religieuse ou sociale: pures copies froides de la nature observée à sa surface. 732 œuvres ont un sens plus profond, une portée quelconque, morale ou immorale.

Sur ce nombre, nous trouvons: Inspiration quelque peu chrétiennes...401 Inspiration manifestement païennes...331

D'où suit que, dans le cœur de nos artistes, l'amour de l'Olympe est à l'amour du Royaume de Dieu, comme 3 sont à 4, et au-delà! Dans le cœur de la Direction-des-Beaux-Arts, nous le remarquons avec plaisir, l'amour du vrai Dieu tient une petite place un peu plus honorable. Parmi les œuvres commandées pour les monuments publics, il y a 37 sujets chrétiens, et seulement 21 païens. Mais nous aurons lieu d'être fort scandalisés, en observant que, sur 40 envois de Rome, 5 seulement sont inspirés du christianisme, et 18 du paganisme ... Voilà donc comment, même à Rome et sous les yeux du Pape, nos Jeunes artistes français, fils aînés de l'Eglise, travaillent à connaître Dieu, à l'aimer et à l'illustrer! Hélas! Il faut redire, aujourd'hui encore, ce mot si lumineux d'un Saint, que l'empereur répétait il y a quinze ans: <> Qui donc comprendra qu'on gagne, à le faire connaître, toute gloire pure et toute immortalité certaine?

D. LAVERDANT.