Salon de 1866
L. de Bourgeois
in : Le Moniteur des Architectes, 1866/1 no. 6,
(81)
SOMMAIRE DU No. 6.
TEXTE. Salon de 1866, 1er article, par M. Bourgeois, de Lagny. Du
fer et de son emploi dans les constructions, par M. À. Hermant.
Mélanges. Jurisprudence, par M. 0. Salvetat.
PLANCHES. 31. Maison boulevart Haussmann, façade. 32. Hôtel
rue de la Bienfaisance; plan et détails. 33. Chambranle et
colonne à Grotta-Ferrata et & Lucques. M. Maison boulevart
Haussmann, détails. 38. Hôtel du prince Napoléon.
Cheminée de la salle à manger. 36. Maison dite da Toit-d'Or,
a Innsbruck.
SALON DE 1866.
ARCHITECTURE. 1er article.
L'architecture n'a pas, comme la peinture et la sculpture, ses surs,
donné lieu à ces discussions de nos jours interminables
entre l'idéalisme et le réalisme, le classique et le romantisme.
Ces deux formes de l'art, qui ont leur raison d'être dans les
autres arts, sont en architecture presque absorbées dans une
seule. Le réa(82)lisme architectural (ou la construction avec
l'absence d'art), n'a qu'un rôle très-secondaire à
remplir dans le développement de l'art monumental; et cet art,
quand il est digne de ce nom, se compose des idéals, en rapport
avec l'état de civilisation de chaque époque, de chaque
nation. Il ne s'astreint aux formes du réalisme, de la construction,
qu'autant que ces formes correspondent à la manifestation des
sentiments, des idées, des sensations que l'architecte veut faire
prédominer par le marbre, par la pierre, avec le fer et les autres
matériaux que l'usage et les progrès de l'art de bâtir
mettent à sa disposition. Il est même de ces matériaux
qu'il rejette comme impropres à toute cons-truction sérieuse
et noble. Le fer et la fonte, dont on fait un si grand usage aujourd'hui,
sont dans ce cas. L'architecte n'en admet l'emploi qu'à titre
auxiliaire dans les édifices publics destinés à
une longue durée, destinés à transmettre aux générations
futures les souvenirs glorieux d'une époque, les monuments de
la croyance et du culte d'une race, ou d'une nation.
(83) Il y a même, contre le réalisme de la construction
et l'idéalisme de l'architecture, une opposition de but qui conduit
à des résultats tout à fait differents d'exécution.
Ce que le constructeur accuse le plus fortement dans son uvre, une
bonne esthétique apprend à l'architecte à le dissimuler.
Le beau en architecture (en littérature, c'est Chateaubriand
qui le dit), le beau consiste à choisir et à cacher, à
choisir ce qui manifeste la grâce des contours, l'harmonie des
proportions, l'élégance des formes, l'originalité
des dispositions, des effets; à cacher, au contraire, tout ce
qui sent la peine et l'effort, ce qui nuit à la majesté
en marquant la contrainte ; tout ce qui montre une lutte avec la matière,
une résistance à sa force et à son poids. Quand
l'architecture revêt ce caractère, c'est qu'elle appartient
à des périodes de civilisation encore rudes et barbares,
où la lutte de l'homme avec la nature n'a pas encore cessé,
comme à l'époque égyptienne pour l'antiquité,
l'époque romane plus près de nous. Tout au plus peut-on
se permettre l'emploi des formes architecturales de ces périodes
dans des constructions où l'utile l'emporte sur le beau, où
l'épargne des deniers publics ou particuliers fait à l'architecte
une nécessité de ne pas céder aux entraînements
de l'imagination, et à tirer parti des dispositions de la construction
elle-même comme objet de décoration. Cet Hercule aux formes
lourdes qui soutient le ciel à grand effort de muscles, et, ce
Zéus qui par un mouvement de sourcils, qui n'altère pas
même la majesté, la régularité de ses traits,
ébranle l'univers jusqu'en son infinie profondeur, sont l'image,
l'un de l'art barbare, l'antre de l'art civilisé, de l'art soumis
à la matière dans ses formes, et de l'art qui a vaincu
la matière et lui impose ses conceptions idéales.
Ces considérations nous amènent naturellement sur le terrain
de l'art religieux par lequel nous commencerons notre examen de l'Exposition
de 1866.
On confond beaucoup trop à notre époque l'art religieux
avec l'art du moyen âge. On s'efforce d'imposer cet art à
une civilisation, et même à une religion qui s'est dépouillée
des langes du passé et que l'on ne saurait y faire revenir, malgré
les essais multipliés qui se produisent à cet effet sous
nos yeux. La lutte entre la coupole et l'ogive, qui représente
en architecture la lutte entre l'esprit moderne et l'esprit du moyen
âge, est selon nous une lutte qui ne peut plus longtemps se soutenir.
Les intelligences, dont l'admi(84)ration pour ce passé de notre
histoire n'est pas douteuse, semblent avoir renoncé même
à la continuer.
Sans cesser d'admirer nos vieilles cathédrales, en partageant
encore les impressions de Montaigne sur l'effet saisissant qu'elles
produisent, on peut espérer que les architectes de l'avenir produiront
le même effet dans un mode, dans un art différent, quand
ils sentiront la nécessité de le faire.
Ce que nous venons de dire suffit à faire apprécier pourquoi
nous n'attachons qu'une importance purement archéologique aux
études sur l'architecture lombarde de M. d'Artein. Il a exposé
sur ce sujet neuf dessins, dont la plupart présentent un intérêt
de ce genre. Nous mentionnerons particulièrement le dessin de
l'agencement de briques et pierres des corniches de Saint-Ambroise de
Milan.
Le projet de décoration ultérieure d'une église
est un assez bon essai appliqué sur de bien mauvaise architecture.
Si cette exhibition de sept grands dessins ne prouve pas beaucoup en
faveur des talents d'architecte de son auteur, elle prouve que M. Lameire,
dirigé par un bon architecte, pourra comme décorateur
rendre les services qu'on attend de son art. Nous engageons M. Lameire
à rester ce que la nature de son talent le fait spécialement
être, c'est-à-dire un artiste distingué comme décorateur.
M. de Baudot est un des architectes qui s'est donné exclusivement
à la réhabilitation de cet art du moyen âge que
nous condamnons sans retour comme application aux besoins, aux sentiments
de notre époque. Cela ne veut pas dire que M. de Baudot soit
un architecte sans mérite. Il a le talent de reproduire le moyen
âge avec un sentiment vrai et naïf de cette période
de l'art. Si ses compositions révèlent peu de conception,
elles sont au moins sagement disposées, et comme les compositions
qu'il expose s'appliquent à des communes rurales, il faut convenir
aussi que le style architectural qu'il préfère a plus
de raison d'être dans des localités où l'esprit
moderne n'a pas encore trop exclusivement pénétré.
Son projet d'église pour la commune de La Roche, (Nièvre),
composé de onze dessins, est un pastiche moyen âge, mais
un pastiche qui n'est pas servile et qui a le mérite d'une composition
première. Il nous a semblé aussi avoir un mérite
plus rare qu'on ne pense à l'Exposition, celui d'avoir été
dessiné par l'auteur lui-même.
Nous donnerons aux études sur le système de construction
des nefs de l'église de Champeaux et de Mareil-Marly du même
artiste les éloges dus à ce genre de travail si important
pour les études d'architecture comparée.
Les monuments funéraires sont aussi des monuments religieux.
C'est pourquoi nous parierons ici du tombeau Israélite exposé
par M. Bessières. Il nous est impossible de donnerune ombre d'encouragement
à ce projet, et nous n'en aurions pas parlé, si nous ne
saisissions en même temps l'occasion d'émettre quelques
idées utiles au sujet du projet de M. Bessières. Ea quoi
les formes étranges qu'il lui a données sont-elles Israélites?
Nous ne comprenons pas. L'art hébraïque, on le sait aujourd'hui,
s'est successivement accommodé d'emprunts faits aux nations qui
avoisinaient ou qui avaient des rapports constants avec la Judée.
Dans la période romaine de leur gouvernement, les Juifs ont,
selon leur usage, emprunté à l'art gréco-romain
la décoration du fameux temple rebâti par Hérode.
Les ruines hébraico-romaines, qui nous restent de ce temple,
sont, il est vrai, empreintes d'un caractère oriental, mais nullement
de ce style affecté et bizarre que M. Bessières nous donne
pour du style Israélite.
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